Les profs ont-ils encore une liberté pédagogique ?

Les profs ont-ils encore une liberté pédagogique ?
Article : Les profs ont-ils encore une liberté pédagogique ?

Qu’est-ce que la liberté pédagogique ?

La liberté pédagogique, même si elle ne portait pas ce nom, est un des concepts fondateurs de l’école publique. Dès le début du 20ème siècle, Ferdinand Buisson, une des figures de l’école républicaine, disait:

« on ne fait pas d’hommes libres avec des instructeurs aux ordres. »

Elle concerne directement la manière de concevoir le métier d’enseignant en opposant deux visions différentes. D’une part le concepteur éclairé et d’autre part le répétiteur de méthodes validées et uniformes.

La liberté pédagogique a toujours été constitutive de l’identité même du métier d’enseignant. Cependant elle n’est inscrite officiellement dans les textes qu’en 2005 avec la publication de la Loi Fillon qui, sans vraiment la définir, lui donne un contour. Le texte dit que la liberté pédagogique est bornée par les programmes, les textes officiels et le projet d’établissement pour garantir l’égal accès aux apprentissages sur tout le territoire.

Ainsi, dans la théorie, le professeur est libre de ses méthodes et de ses contenus dans le cadre des programmes.

Une grande place grandissante laissée aux tests standardisés

On observe ces dernières années de véritables attaques du principe de liberté pédagogique. Depuis 2015, des évaluations nationales ont progressivement été déployées sur tous les territoires en CP, CE1 et 6ème. Ces évaluations ont pour but de faire un relevé des compétences des élèves à un instant T.

Cependant ces tests sont calibrés de façon à évaluer certaines compétences plus que d’autres. Par exemple la fluence (rapidité de lecture) plutôt que la compréhension de texte en français. La numération et non la résolution de problème ou encore la capacité à développer un raisonnement complexe en maths.

Ces évaluations influencent donc indirectement la façon dont les enseignants vont pratiquer leur pédagogie. Elles les incitent à entrainer les compétences évaluées et délaisser les autres. Une méthode d’enseignement que les américains appellent “ teaching by the test “ qui peut avoir l’effet délétère de créer une façon uniforme d’enseigner dans l’optique de réussite des élèves aux tests standardisés.

Des attaques répétées sous Jean-Michel Blanquer

En 2018, Jean-Michel Blanquer publie un guide à destination des enseignants “Pour enseigner la lecture et l’écriture au CP”. Ce guide a pour but d’imposer une méthode type pour l’enseignement de la lecture et de l’écriture en CP. Elle ne prend pas en compte la diversité et l’efficacité des pratiques en cours dans les classes de CP. En effet, si une minorité d’enseignants de CP ont pu se retrouver en difficulté face aux modalités d’enseignement de la lecture et d’écriture, des enseignants expérimentés ont, quant à eux, développé des méthodes qui, bien que ne correspondant pas parfaitement aux prescriptions du guide orange, ont prouvé leur efficacité.

Montage: @laurentfillion

Cette politique va à l’encontre des conclusions de l’étude “Lire-Ecrire au CP” dirigée par Roland Goigoux. Ils indiquent que ce qui compte le plus dans l’enseignement de la lecture ce sont les compétences du maitre et de la maitresse plus que le manuel utilisé.

On peut donc se demander quelle est la stratégie derrière cette politique puisqu’elle n’est visiblement pas menée dans un simple but d’amélioration des résultats.

Francette Popineau, porte-parole du syndicat SNUIPP-FSU, lorsqu’elle répond au journal Le Monde affirme que « Le ministre s’adresse à l’opinion publique et veut lui faire croire qu’on a enfin en France le bon ministre avec la bonne méthode et le bon manuel. C’est un leurre ».

Elle rappelle aussi ce que l’étude de R. Goigoux affirmait:

« L’école est quelque chose de beaucoup plus complexe et il faut toute l’intelligence du maître ou de la maitresse et son adaptation aux besoins des élèves pour enseigner. »

Quel avenir pour la liberté pédagogique ?

Ainsi, la liberté pédagogique n’est pas un privilège mais une exigence car elle nécessite un enseignant expert qui maitrise la didactique des sujets qu’il enseigne. Cette expertise vient aussi bien de la formation initiale, et de la formation continue quand elle existe. Mais elle vient aussi de la confrontation des pratiques entre enseignants. En dépossédant les enseignants de leur liberté et en dévaluant leur expertise, l’ancien ministre participe à la dévaluation et à la “prolétarisation du métier” comme le souligne Philippe Meirieu, chercheur spécialiste des sciences de l’éducation.

Ainsi plus besoin d’experts pour enseigner mais des répéteurs de méthodes unifiées suffisent. On peut déjà voir les conséquence de ce genre de politique sur le métier qui est aujourd’hui déserté. De nouvelles méthodes de recrutement plus que problématiques comme les “speed-datings” voient le jour. Des personnels précaires et non-formés se retrouvent en position d’enseigner. Il n’y a qu’un pas à faire pour penser que ces effets délétères étaient ceux recherchés depuis le début.

Les promesses d’Emmanuel Macron

En mars 2022 à Marseille, Emmanuel Macron a affirmé qu’il voulait « plus de liberté pédagogique aux enseignants, en lien avec les parents d’élèves, le périscolaire, les élus ». De nouveau dans son discours adressé aux recteurs en août 2022, il indique:

Refonder l’école, la réinstaller sur ses fondations, c’est assumer que l’école repose sur un objectif, et qu’elle doit être avant tout portée par ses professeurs, sur ceux qui la font vivre au quotidien, et non pas seulement sur des méthodes trop uniformes, trop imposées d’en haut”.

Deux affirmations qui tranchent avec la politique menée sous son quinquennat précédent et qui questionnent sur la réalité de leur mise en pratique.

Le métier d’enseignant est un métier qui évolue vite, il y a une nécessité d’adaptation aux différents publics, la société, les enfants, tout est en évolution permanente. La liberté pédagogique et de choix des outils et des pratiques laisse la latitude nécessaire aux enseignants de répondre aux besoins de leur classe et d’être le plus efficace possible mais aussi d’exercer leur métier dans des conditions satisfaisantes.

Et vous, avez-vous l’impression d’avoir une liberté pédagogique ?

Avez-vous observé des évolutions au cours de votre carrière ?

Sources:

France Culture: Qu’est-ce que la liberté pédagogique ?

Public Sénat: Une réforme qui interroge.

SNES: La liberté pédagogique, une notion en débat.

SudEducation: Manuel de lecture ministériel, une atteinte grave à la liberté pédagogique.

Le Monde: L’Education Nationale publie quatre circulaires de recommandations pour les enseignants.

Blog.francetvinfo – L’instit humeurs : Le livre orange sur la lecture au CP décrypté par Roland Goigoux

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *